L’article publié le 6 mars 2025 par Sonia Exley, professeure associée au Département de politique sociale à la London School of Economics and Political Science (LSE), met en lumière les enjeux contemporains liés à l’accès au tutorat privé en Angleterre. À travers son analyse, Exley interroge la manière dont le gouvernement britannique a représenté le phénomène du tutorat privé dans ses politiques, spécifiquement à travers le National Tutoring Programme (NTP). En effet, l’augmentation des dépenses privées en tutorat a suscité des préoccupations croissantes, notamment en ce qui concerne l’équité d’accès à ces ressources éducatives. L’article, disponible à l’adresse suivante https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/02680939.2025.2474935, s’inscrit dans un cadre théorique qui questionne les constructions discursives autour des problèmes liés au tutorat. Les résultats de cette recherche soulignent les implications potentielles pour les élèves, les familles et le système éducatif dans son ensemble. Comme le souligne Catherine West, députée du Parti travailliste, « il est crucial que toutes les voix soient entendues dans le débat sur l’éducation, en particulier celles des enfants les plus vulnérables ». En examinant les politiques en cours, Exley met en avant les risques de normalisation du tutorat privé qui pourraient transformer ce qui était autrefois considéré comme une aide supplémentaire en une nécessité perçue pour la réussite académique, exacerbant ainsi les inégalités existantes.

Une approche libérale du tutorat privé

Depuis plusieurs années, l’Angleterre a vu une montée significative du tutorat privé. Selon Gavin Williamson, ancien Secrétaire d’État à l’Éducation, « le tutorat n’est pas seulement un complément ; il devrait faire partie intégrante de l’éducation de chaque enfant ». Ce discours s’inscrit dans une tradition libérale qui valorise le rôle des parents en tant que consommateurs d’éducation. Cette vision défend l’idée que les parents ont le droit de choisir les meilleures ressources éducatives pour leurs enfants, y compris le tutorat privé. Cependant, cette perspective soulève des questions quant à l’équité d’accès. Des études montrent que les enfants dont les parents occupent des emplois dans des secteurs professionnels et managériaux sont les plus susceptibles de bénéficier de tutorat, accentuant ainsi les inégalités déjà présentes dans le système éducatif (Jerrim, 2017).

L’approche gouvernementale a également été influencée par des organisations comme la Sutton Trust, fondée par le philanthrope Peter Lampl. Cette organisation plaide pour un accès élargi au tutorat pour les élèves défavorisés. Lampl souligne que « le tutorat doit être une opportunité pour tous, pas seulement pour ceux qui peuvent se le permettre ». Dans ce contexte, le NTP a été introduit pour répondre à la question de l’accès inégal, mais il reste à voir si ces initiatives suffisent à réduire les disparités existantes.

Les critiques de cette approche libérale soulignent que l’accent mis sur le tutorat privé comme solution peut détourner l’attention des problèmes structurels qui affectent l’éducation publique. Geoff Barton, Secrétaire général de l’Association des chefs d’établissement et des directeurs de collèges, a mis en garde contre l’idée que le tutorat pourrait résoudre les problèmes d’inégalité scolaire. Selon lui, « investir dans le tutorat ne doit pas nous faire oublier la nécessité d’améliorer l’éducation publique elle-même ».

En réalité, la montée du tutorat privé pourrait créer une dépendance à ces services, renforçant l’idée que les écoles publiques ne sont pas suffisantes pour la réussite académique des élèves. Ce phénomène de dépendance pourrait également contribuer à une culture où l’éducation devient davantage une marchandise qu’un droit fondamental. Alors que le NTP cherche à élargir l’accès au tutorat, il est essentiel de se demander si ces efforts suffisent à réellement égaliser les chances pour tous les élèves ou s’ils ne font que renforcer un système déjà biaisé.

Les effets du National Tutoring Programme

Le National Tutoring Programme a été lancé en réponse aux fermetures scolaires dues à la pandémie de COVID-19, avec pour objectif d’atténuer les pertes d’apprentissage, en particulier pour les élèves issus de milieux défavorisés. Cependant, des critiques ont émergé concernant la portée et l’efficacité de ce programme. Nadhim Zahawi, le successeur de Williamson en tant que Secrétaire d’État à l’Éducation, a déclaré que le programme visait à « transformer le paysage éducatif en fournissant un soutien ciblé aux élèves dans le besoin ». Pourtant, des recherches récentes, comme celle de Crenna-Jennings et al. (2021), soulignent que le financement du NTP était largement insuffisant pour répondre aux besoins réels des élèves.

Le programme proposait environ 15 heures de tutorat subventionné, une offre qui peut sembler dérisoire face aux heures de tutorat reçues par les enfants de familles plus aisées. En effet, un rapport de l’Institute for Fiscal Studies a révélé que les élèves issus de milieux défavorisés avaient souvent besoin de deux à trois fois plus d’heures de tutorat pour rattraper leur retard. Geoff Barton, Secrétaire général de l’Association des chefs d’établissement et des directeurs de collèges, a exprimé des préoccupations quant à l’impact de ce programme, le qualifiant de « solution à court terme qui ne traite pas des causes profondes des inégalités dans l’éducation ».

En outre, le NTP a été critiqué pour sa mise en œuvre logistique. De nombreux enseignants et directeurs d’école ont signalé des difficultés à recruter des tuteurs qualifiés, ce qui a conduit à des retards dans le démarrage des sessions de tutorat. De plus, les exigences administratives associées au programme ont été jugées lourdes, décourageant certaines écoles de participer pleinement. Selon une étude de Moore et Lord (2023), « la complexité administrative du NTP a parfois nui à son efficacité, rendant difficile l’accès des élèves à l’aide dont ils ont besoin ».

Malgré ces critiques, le NTP a également eu des effets positifs, en offrant un soutien ciblé à certains élèves. Des évaluations ont montré que les élèves qui ont bénéficié du programme ont réalisé de nets progrès dans certaines matières. Cependant, il est important de noter que ces améliorations ont tendance à être temporaires. Comme l’a souligné A. Gupta, chercheur en éducation, « sans un engagement à long terme en faveur du financement et du soutien, les gains réalisés grâce au tutorat peuvent s’estomper rapidement une fois que le programme prend fin ».

En conclusion, bien que le NTP ait été conçu avec de bonnes intentions, ses effets à long terme sur l’équité éducative et l’amélioration des résultats scolaires restent incertains. Les critiques suggèrent que des solutions plus structurelles, axées sur l’amélioration des ressources et des opportunités dans les écoles publiques, pourraient être nécessaires pour atteindre une véritable égalité d’accès à l’éducation.

La normalisation du tutorat privé

L’analyse des politiques gouvernementales révèle une tendance inquiétante : la normalisation du tutorat privé comme une solution acceptable et désirable pour les inégalités éducatives. Les discours politiques actuels, soutenus par des personnalités comme Boris Johnson, ancien Premier ministre, présentent le tutorat comme un « droit » auquel tous les enfants devraient avoir accès. Johnson a déclaré que « le tutorat ne doit plus être considéré comme une option réservée aux familles riches, mais comme un élément fondamental de l’éducation de tous les enfants ».

Cependant, cette vision soulève des interrogations sur le rôle du système éducatif public et sur la manière dont il est perçu par la société. Le fait que le NTP soit perçu comme une solution viable à une crise éducative soulève des questions éthiques sur l’avenir de l’éducation publique. À long terme, cette tendance pourrait contribuer à la dévalorisation de l’éducation publique au profit de solutions privées, ce qui pourrait avoir des effets dévastateurs sur le système éducatif dans son ensemble.

Geoff Barton, Secrétaire général de l’Association des chefs d’établissement et des directeurs de collèges, a averti que « si nous considérons le tutorat privé comme un substitut aux investissements nécessaires dans les écoles publiques, nous risquons de créer un système à deux vitesses ». Cette observation met en lumière la crainte que le tutorat privé ne devienne une norme, reléguant l’éducation publique à un rôle secondaire. En effet, l’acceptation croissante du tutorat comme une solution aux inégalités pourrait entraîner une diminution de l’engagement envers le financement et l’amélioration des écoles publiques.

La normalisation du tutorat privé peut également façonner les attentes sociétales concernant l’éducation. Dans un environnement où le tutorat est perçu comme indispensable, les parents pourraient se sentir contraints d’investir dans des services privés pour garantir le succès académique de leurs enfants. Cela pourrait créer une pression supplémentaire sur les familles, en particulier celles à faibles revenus, qui pourraient se retrouver dans une situation où elles doivent choisir entre des ressources éducatives limitées et un investissement financier significatif dans le tutorat.

Les implications de cette normalisation sont vastes. Elle pourrait renforcer l’idée que les écoles publiques ne sont pas en mesure de fournir une éducation de qualité suffisante. En parallèle, cela pourrait également détourner l’attention des véritables réformes nécessaires pour améliorer le système éducatif dans son ensemble. Selon A. Swift, chercheur en politiques éducatives, « une dépendance accrue au tutorat privé pourrait masquer la nécessité d’une réforme systémique du système éducatif public ». En somme, la normalisation du tutorat privé soulève des questions cruciales sur l’équité et l’avenir de l’éducation, nécessitant une réflexion approfondie sur la direction que prend le système éducatif dans son ensemble.

Conclusion : un avenir incertain

L’analyse des politiques autour du tutorat privé en Angleterre, comme présentée par Sonia Exley, met en lumière les complexités et les contradictions d’une approche qui vise à « niveler vers le haut » l’accès à l’éducation. Bien que le NTP ait permis d’apporter un soutien à certains élèves, il reste à déterminer si cela suffira à créer un véritable changement dans un système déjà marqué par des inégalités profondes. Les discours politiques actuels, qui semblent favoriser une adoption croissante du tutorat privé, doivent être examinés de manière critique.

La question cruciale demeure : le tutorat privé peut-il vraiment compenser les lacunes d’un système éducatif public qui souffre d’un manque de financement et de ressources ? Gavin Williamson a souvent soutenu que le tutorat pourrait réduire les inégalités, mais cette vision est contestée par de nombreux éducateurs qui soulignent que le véritable changement nécessite des investissements systématiques dans les infrastructures scolaires. Comme l’a indiqué A. Gupta, spécialiste en politiques éducatives, « s’appuyer sur le tutorat privé comme solution unique à des problèmes systémiques ne fera qu’accroître les inégalités à long terme ».

Les implications de cette dépendance au tutorat privé sont vastes. D’une part, elle pourrait créer un fossé encore plus grand entre les élèves qui peuvent se permettre un tutorat et ceux qui ne le peuvent pas. D’autre part, elle pourrait également mener à une perception erronée de l’efficacité des écoles publiques, qui pourraient être jugées sur leur capacité à produire des résultats académiques sans tenir compte des ressources qu’elles reçoivent. Ce phénomène pourrait, en fin de compte, alimenter un cycle de désinvestissement dans l’éducation publique.

Exley souligne également que « l’acceptation croissante du tutorat comme solution aux inégalités éducatives pose des questions éthiques sur l’avenir de l’éducation publique ». Si les gouvernements continuent de privilégier des solutions privées, ils risquent de dévaloriser la mission éducative des écoles publiques et d’exacerber les inégalités existantes. Geoff Barton a averti que « si nous ne faisons pas attention, nous risquons de créer un système où le succès éducatif dépend de la capacité des parents à payer pour des services privés, plutôt que des efforts des écoles publiques pour fournir une éducation de qualité ».

En somme, l’avenir de l’éducation en Angleterre semble incertain. Les décideurs politiques doivent non seulement reconnaître les implications de la privatisation croissante, mais aussi s’engager à investir dans l’éducation publique pour garantir un avenir équitable pour tous les enfants. Des solutions durables et équitables nécessitent des efforts concertés pour réformer le système éducatif dans son ensemble, plutôt que de se reposer sur des solutions temporaires qui pourraient, en fin de compte, nuire plus qu’elles ne profitent.